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Revue L'éclaireur numéro 18

Dernière mise à jour : 25 nov. 2022

Retrouvez le dernier numéro et le dernier article de la revue de L'éclaireur



Le Talmud raconte qu’un grand maître babylonien commençait toujours son enseignement par un mot d’humour qui faisait rire ses élèves. Puis il s’asseyait avec sérieux et commençait son cours. La bonne humeur ainsi provoquée permet une plus grande mobilisation de toutes les capacités intellectuelles. On peut aussi relier l’histoire drôle ou le jeu de mots à la nature même de l’étude juive durant laquelle les versets sont bousculés et investis de significations nouvelles faisant parfois voler en éclat le sens littéral. Le mot d’humour introductif prédispose les élèves à cet état d’esprit : il faudra, durant l’étude des textes, accepter d’abandonner ses confortables certitudes et les briser avec autant de force qu’Abraham cassait les idoles de son père.

Dans la Tora, le rire (צחוק, ts’hok) est associé à l’inattendu, à l’espoir et à la l’élargissement du champ des possibles : Abraham et Sarah, centenaires, se voient promettre un fils et ils rient en pensant à l’enfant miraculeux qui s’appellera Isaac, יצחק, « celui qui rira ». Rire, c’est échapper à la règle figée, au destin tout tracé. Ts’hok est d’ailleurs la contraction de « tsé min ha’hok » : « sors de la règle ! »

Mais Dieu demande : « Pourquoi Sarah a-t-elle rit ? » (Genèse 18, 13). Car le rire n’est louable que si son intention est digne. Le pourquoi du rire doit être questionné. En effet, l’humour n’est ni le ricanement, ni la raillerie ni la vulgarité. Notre société survalorise le rire, notamment dans l’espace médiatique. Faire rire et rire de tout, voilà un devoir nouveau auquel même le monde politique se soumet. La question classique : « peut-on rire de tout ? » et sa réponse éculée (« oui, mais pas avec

n’importe qui ») cachent une interrogation plus essentielle : il ne s’agit pas tant de se demander de quoi on doit rire mais pourquoi, à quelles fins, pour quels effets ?

Ce numéro de L’éclaireur voudrait réinterroger les fonctions de la satire et sa nécessaire régulation dans le débat public, entre, d’une part l’humour sans limites (appréhendé comme une nouvelle forme d’art bénéficiant à ce titre d’un privilège dérogatoire pour échapper – comme on prétend y échapper au nom de l’art –, aux lois qui régulent la liberté d’expression et les discours de haine) et, d’autre part, les tentatives de polissage et de censure de tout discours « décalé ».

Il est urgent de distinguer l’humour qui élève (qui émancipe et parle à l’intelligence autant qu’à la sensibilité) du ricanement qui abaisse (qui humilie et dégrade) et à propos duquel le psalmiste disait : « Heureux l’homme (…) qui ne siège pas en compagnie des railleurs » (Psaumes 1,1).




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